La fin de la jurisprudence COHN-BENDIT
Le 17 Nov 2009
En vertu de la célèbre jurisprudence Cohn-Bendit, figure du « G.A.J.A. » (CE, Assemblée, 22 décembre 1978, Min. int. c/ Cohn-Bendit), il était considéré, jusqu’à présent, qu’une personne ne pouvait, à l’appui d’un recours contre une décision administrative individuelle, invoquer directement une disposition d’une directive, même si l’État avait été défaillant dans son obligation de transposition.
Or, par un important revirement de jurisprudence, le Conseil d’Etat vient de reconnaître la possibilité pour tout justiciable de se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif, réglementaire ou individuel, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par elle, les mesures de transposition nécessaires.
Dans ce même arrêt, le Conseil d’Etat définit également un régime adapté de charge de la preuve dans les cas où il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination.
La requérante invoquait le bénéfice de la directive n° 2000/78/CE du Conseil de l’Union européenne du 27 novembre 2000, dont l’article 10 requiert des Etats membres de l’Union qu’ils prévoient un dispositif adapté de charge de la preuve devant le juge dans les cas où est invoquée une discrimination.
Cette directive n’avait pas été transposée par la France à l’époque de l’acte contesté.
La transposition des directives communautaires, qui est une obligation prévue par le Traité instituant la Communauté européenne, revêt, en outre, le caractère d’une obligation constitutionnelle.
Le juge national, juge de droit commun de l’application du droit communautaire, doit donc garantir l’effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation constitutionnelle à l’égard des autorités publiques.
Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, cependant, les dispositions de la directive ne remplissent pas les conditions permettant de considérer qu’elles sont directement invocables.
Elles réservent en effet la possibilité de ne pas aménager la charge de la preuve en matière de discrimination, lorsque le juge dispose de pouvoirs d’instruction, ce qui est le cas du juge administratif en droit public français.
Dès lors que la disposition n’est pas inconditionnelle, elle ne peut être invocable par un particulier.
Malgré l’absence d’effet direct de cette directive, le Conseil d’Etat a considéré qu’il appartenait au juge administratif de prendre en compte les difficultés propres à l’administration de la preuve dans les cas où il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination.
Le Juge a aussi souligné la nécessité de tenir compte en pareil cas des exigences résultant des principes constitutionnels que sont les droits de la défense et l’égalité de traitement des personnes.
Au regard de ces particularités, il a décidé de définir, de manière autonome, un dispositif adapté de charge de la preuve, qui a vocation à s’appliquer dans des situations couvertes par la loi du 27 mai 2008.
Ce dispositif requiert du requérant qui s’estime lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de non-discrimination.
Il incombe alors au défendeur, c’est-à-dire à l’administration, de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
A ce stade, la conviction du juge, à qui il appartient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires et, en cas de doute, le juge peut les compléter par toute mesure d’instruction utile.
Le Conseil d’Etat a suivi cette méthode pour apprécier la situation de la requérante et conclu que le choix opéré par l’autorité de recrutement ne reposait pas sur des motifs entachés de discrimination.