Manifestation sportive: obligation de vigilance accrue en cas d’alerte météo
Le 6 Oct 2022
Dans cette affaire, la demanderesse soutient que la FFSA et la Ligue de l’Île-de-France d’aviron, en qualité d’organisateurs d’une compétition sportive, sont tenues, à l’égard des participants en application de l’article 1147 (ancien) du code civil, d’une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence, qu’elles sont responsables des dommages causés par les installations et équipements qu’elles mettent en place et qu’elles sont tenues à un devoir de police et de surveillance. Elle ajoute que cette obligation de sécurité de moyen s’apprécie en fonction de l’âge et l’expérience des pratiquants, ou encore du caractère paisible ou au contraire dangereux. Elle estime que s’agissant d’une manifestation comprenant des compétitions pour certaines ouvertes aux mineurs et relatives à une activité susceptible de présenter des dangers, l’obligation qui pesait sur les organisateurs était renforcée et que ceux-ci devaient prendre toutes les précautions afin de ne pas exposer les participants à un danger, mais également assurer à son égard une surveillance constante et lui donner les consignes de sécurité, obligation qui ne se limite pas aux quelques minutes de course effective.
Elle prétend que les organisateurs ont commis plusieurs fautes. Ils ont maintenu la compétition malgré des conditions météorologiques annoncées par Météo France, alors que ces conditions devaient, par prudence, les conduire à l’annuler, le risque d’orages annoncé n’étant pas un phénomène banal ou anodin pour la pratique de l’aviron. Elle écarte, eu égard aux avis de vigilance de Météo-France, la force majeure alléguée en défense. Elle leur reproche aussi d’avoir tardé à annuler la compétition alors que les orages allaient prochainement se produire. Elle soutient que les organisateurs n’ont pris aucune mesure pour sécuriser les lieux dont les abords boisés du plan d’eau, n’ont pas prévu d’abris et n’ont pas diffusé de consignes de sécurité auprès des participants malgré l’annonce d’orages violents et de fortes rafales de vent puis de ne pas avoir surveillé les compétiteurs mineurs au moment où les orages se sont produits.
A titre principal, la FFSA et la Ligue de l’Île-de-France d’aviron soutiennent que la chute de l’arbre ayant blessé la demanderesse s’explique par un défaut d’entretien du domaine public, dont les personnes publiques doivent seules répondre.
A titre subsidiaire, elles soutiennent que la violente tempête qui a engendré la chute de l’arbre revêt les caractères de la force majeure, eu égard aux conclusions de l’expert sylviculteur, qui qualifie la tempête d’imprévisible et à un bulletin du 12 mai 2007 de Météo France qui fait état que d’un risque d’orages et non de tempête. Elles ajoutent qu’en tout état de cause, aucun manquement à l’obligation de moyen dont elles sont débitrices n’est caractérisé, d’autant que l’accident est survenu après la participation de la victime à la compétition, alors qu’elle s’était éloignée du point d’accueil pour faire un jogging de récupération et même après l’interruption de la compétition.
La Cour d’appel de Paris fait droit aux demandes de la jeune sportive et souligne la nécessité pour les organisateurs d’une manifestation sportive de faire preuve d’une vigilance accrue en cas d’alerte météorologique (CA PARIS, 15 septembre 2022, n°19/21796)
En premier lieu, l’éventualité d’une responsabilité des personnes publiques propriétaires ou chargées de l’entretien du stade nautique et des abords du bassin d’aviron n’exonère pas les organisateurs de la compétition sportive qui s’y est déroulée des conséquences de leurs propres manquements aux obligations dont elles sont débitrices. Dès lors, le moyen développé à titre principal par les intimés ne peut pas prospérer.
En second lieu, la Fédération et la Ligue insistent, pour caractériser la force majeure, sur l’arrivée rapide et imprévisible de la tempête qui a causé l’accident et ajoutent qu’il ne peut pas leur être reproché de ne pas avoir anticipé la violence d’un phénomène météorologique.
Ce moyen est inopérant en l’espèce. En effet, l’appelante ne reproche pas aux organisateurs de ne pas avoir prévu un phénomène météorologique extrême mais divers manquements à leur obligation de sécurité et notamment un défaut de précaution et d’anticipation après la publication du bulletin d’alerte de Météo-France du samedi 12 mai 2007 à 21h29.
Ainsi que l’avance, Mme [Ab], les organisateurs des régates nationales de masse des 12 et 13 mai 2007 étaient tenus d’une obligation de sécurité, de prudence et de diligence envers les sportifs qui participaient à cette compétition dans l’enceinte sportive (le stade nautique) mise à leur disposition par la ville de [Localité 8] et qui leur imposait de prendre toutes les mesures afin d’assurer la sécurité des participants.
Une annexe du règlement intérieur de la FFSA, le code des régates énonce au titre des obligations de l’organisateur de régates, de prévoir un dispositif de sécurité sur l’eau et à terre, impose au comité d’organisation de tout mettre en oeuvre pour que la compétition dont il a la charge se déroule dans les meilleures conditions de sécurité ; qu’en son article 26, il précise que la sécurité des compétiteurs doit constituer la préoccupation principale du comité d’organisation et que le déroulement d’une compétition peut être modifié si les conditions atmosphériques ou autres le nécessitent, voire l’interrompre.
Cette obligation perdure jusqu’à l’interruption de cette manifestation sportive, décision qui a été prise par les organisateurs, le dimanche 13 mai à 16h40, soit plus de deux heures après l’accident, ainsi qu’en témoigne le policier municipal entendu au cours de l’enquête de police.
Les intimées invoquent donc inutilement le fait que Mme [Ab] avait fini de concourir, d’autant qu’elle effectuait un jogging afin de détendre ses muscles et encourageait les autres compétiteurs. Est tout aussi inopérante, l’allégation d’une interruption de la compétition lorsque le temps s’est dégradé, qui n’était que l’arrêt de la ou des régates en cours annoncé par microphone, ainsi qu’il ressort tant du témoignage devant les services de police de M. [X], éducateur sportif employé par une association mantaise que de celui du policier municipal qui précise l’heure de l’arrêt de la manifestation sportive.
Il convient aussi de noter que M. [Ac] ne fait allusion à aucune autre consigne ainsi que le caractère tardif de cet arrêt puisque toujours selon ce témoin, au paroxysme du phénomène météorologique qui a duré quelques minutes, des bateaux étaient toujours sur l’eau et que sur l’une des photographies produites par Mme [Ab] apparaissent à la fois des jeunes gens ramenant leurs bateaux sur la berge et les véhicules de secours.
L’avis d’alerte du samedi 12 mai à 21h29 plaçait la région en vigilance jaune, avec des « orages parfois violents à partir de dimanche 13 mai à 00 h « .
Il s’ensuit la possibilité de voir se développer des orages parfois violents à partir de dimanche 13 mai à 00H et que malgré une accalmie en fin de matinée, ce temps agité marqué par une activité orageuse avec risque de grêle et de fortes rafales de vent, devrait persister l’après-midi dans des régions dont les deux Normandies, avec des débordements orageux notamment dans l’Ouest de l’Ile de France, dont fait indéniablement partie la ville.
Il était ajouté, qu’en raison de l’indisponibilité des prévisionnistes d’Infoclimat, le bulletin ne comprenait pas d’analyse détaillée de la situation et qu’il pourrait ne pas bénéficier d’un suivi régulier au cours de la journée de dimanche.
Selon la carte de vigilance diffusée le dimanche 13 mai à 6 heures du matin et valable jusqu’au lundi à 6 heures, l’Ile de France et les départements normands étaient placés en vigilance jaune, ce qui imposait aux organisateurs, selon les consignes des pouvoirs publics rappelés sur la carte d’alerte de se tenir au courant de l’évolution météorologique et d’être attentifs en cas de pratique d’activés sensibles aux risques météorologiques, des phénomènes habituels dans la région mais occasionnellement dangereux (ex: mistral, orages d’été) étant en effet prévus.
Il était également rappelé les conseils des pouvoirs publics en cas d’orages (la prudence lors des activités de loisir et à l’approche de l’orage, de s’abriter hors des zones boisées).
Le président de la Ligue reprend cette consigne de prudence et la nécessité d’anticiper les situations de danger liées aux épisodes orageux, puisque devant les services de police il s’est exprimé dans ces termes : lorsqu’on sent qu’il va y avoir un orage, il y a une règle en aviron, on stoppe la compétition, précisant que les matériaux des bateaux sont très conducteurs, ce que mentionne également la seconde annexe du règlement intérieur (pièce appelante n°9). En revanche, en contradiction avec les éléments sus-évoqués, il prétend que les renseignements météo laissaient entendre qu’il y avait dans l’est de la France des risques d’orage mais que le lieu de la compétition n’était pas concerné, puisqu’ainsi qu’il est dit ci-dessus, des débordements orageux dans l’ouest de la région parisienne étaient annoncés dès le samedi soir.
Ainsi qu’il est rappelé ci-dessus, le règlement de la FFSA insiste sur la nécessité d’anticiper les conditions météorologiques et impose à l’organisateur de prévoir un dispositif de sécurité adapté sur l’eau et à terre.
Aucun des témoins ne fait état de consignes des organisateurs, les intimées n’en évoquent d’ailleurs aucune et estiment que l’arrêt de la compétition était en soit une consigne (d’arrêter la pratique de l’aviron et de quitter les lieux).
Certes il ne peut pas être reproché aux organisateurs d’avoir repris la compétition le dimanche 13 mai, mais l’alerte jaune publiée la veille leur imposait une vigilance accrue et d’anticiper la survenue possible des phénomènes annoncés et par conséquent, de diffuser, dès reprise des courses le dimanche puis régulièrement, des consignes de sécurité précises sur la conduite à tenir en cas de dégradation des conditions météorologiques (et donc relayer les consignes des pouvoirs publics et indiquer les lieux à rejoindre pour se mettre à l’abri) ce qui aurait de surcroît, amené les accompagnateurs des mineurs à les inviter, par sécurité, à ne pas s’éloigner de ces lieux.
Les autres griefs ne résistent pas à l’examen, les organisateurs n’ayant aucune obligation d’entretenir les abords boisés du bassin ou de les sécuriser, les arbres étant suffisamment éloignés des berges pour ne pas constituer un danger lors des régates et après leur participation aux régates, les compétiteurs mineurs ne sont pas sous la surveillance des organisateurs.
Enfin, il ne peut pas être reproché à une mineure et lui imputer à faute qui plus est exonératoire, le fait qu’elle s’est réfugiée sous un arbre, au côté d’une adulte, alors qu’elle se trouvait seule en terrain découvert qu’elle était confrontée à un phénomène météorologique extrême dans le contexte de peur et de panique générale décrit par les témoins, M. [Ad] et Mme [S].
En revanche, eu égard à la nature des fautes retenues, le préjudice subi par la victime en lien de causalité direct et certain avec le dommage subi par la victime ne peut être qu’une perte de chance de l’éviter.
Elle affirme que si des consignes avaient été données en amont, son entraîneuse ne lui aurait jamais demandé de faire sa course de relaxation musculaire du côté droit du bassin bordé d’arbres mais qu’elle l’aurait invité à se mettre à l’abri, ou à tout le moins elle l’aurait invitée à pratiquer sa course en restant éloignée des arbres et en se tenant à proximité des abris, s’ils avaient existé – et des cars pour se protéger si un orage devait survenir ; elle en aurait fait de même si la compétition avait été arrêtée à temps, ce dont elle a d’ailleurs attesté. Elle ajoute que comme tout sportif de haut niveau, elle respectait avec discipline et sans discussion toutes les consignes, instructions et horaires décidés par l’entraîneur. Les intimées avancent que cette perte de chance est, en l’espèce nulle, rien ne permettant d’établir que le comportement de Mme [Ab] aurait été différent si un formulaire écrit lui avait été remis afin de lui rappeler de nouveau les consignes de sécurité.
Les intimées ne peuvent pas tirer argument du fait que Mme [Ab], sportive accomplie, connaissait les règles de sécurité liées à la pratique de l’aviron. En effet, il s’agissait pour les organisateurs non de rappeler ces règles, mais d’informer les participants à la compétition et les accompagnateurs du maintien de la manifestation sportive malgré un risque avéré d’orages et des mesures et consignes précises qu’ils prenaient pour assurer leur sécurité sur le site sur lequel se déroulait la compétition.
Ainsi qu’il est dit ci-dessus, les organisateurs n’ont pas diffusé la moindre consigne de sécurité à la reprise des compétitions le dimanche 13 mai ni rappelé les conseils des autorités publiques, dont celui d’éviter les zones boisées. Or, ainsi qu’elle en atteste, ce simple rappel aurait amené Mme [S] a donner d’autre instruction à Mme [Ab] et notamment de lui déconseiller de s’éloigner des abris ou des lieux où elle pouvait se réfugier par temps d’orage. Le fait que Mme [Ab] soit arrivée au niveau qui était le sien avant l’accident – une sélection pour l’équipe de la ligue d’aviron – ne peut se concevoir sans le respect strict de la discipline qu’impose ce sport collectif et des consignes de l’encadrement.
Dès lors, la perte de chance d’éviter le dommage doit être fixée à 90%, les parties intimées devant être condamnées in solidum, dans cette proportion, à indemniser le préjudice corporel de la victime.