La France au bord de l’overdose normative
Le 29 Sep 2016
Le Vice-président du Conseil d’État, Jean Marc Sauvé, a présenté l’étude annuelle de l’Institution consacrée à la simplification et à la qualité du droit.
Rappelant en préambule que c’est la troisième fois que le Conseil d’État se saisit du sujet (après son étude de 1991 « De la sécurité juridique » et de 2006 « Sécurité juridique et complexité du droit »), le vice-président Sauvé a déploré que le constat dressé par l’étude annuelle de 1991, resté célèbre sous la forme de la maxime qui l’avait synthétisée à l’époque : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite », soit, plus que jamais, toujours d’actualité et rende nécessaire la production d’une nouvelle étude consacrée au même sujet.
Bien entendu, et le rapport le note d’emblée, la complexité du droit ou sa qualité sont des notions qui ne sont pas conceptualisées (et qui peineraient à l’être). Elles renvoient à plusieurs types de préoccupations : le volume de la norme (qui a connu une très récente illustration dans le débat sur le Code du travail), son instabilité, la difficulté de sa compréhension (comme en matière fiscale par exemple), etc.
Partant la complexité est une réalité difficile, voire impossible, à mesurer car il n’existe : « aucun consensus sur les chiffres (écart de 1 à 10 sur le nombre des normes en vigueur), ni même sur ce qu’il faudrait chiffrer ou la manière de le faire (calcul du volume des normes, de la charge administrative…) ».
Pourtant, la conscience que le droit est complexe (entendu comme instable, imprévisible, illisible…) est largement partagée. Selon les rapporteurs, les facteurs de complexification sont multiples : internes d’abord (exigences renforcées au niveau constitutionnel et conventionnel), mais aussi sociologiques (accélération du progrès technique, globalisation, attentes sociales de protection contre certains risques…), politiques (la norme reste, en France, le vecteur privilégié de l’action publique) et médiatiques (la norme sert trop souvent à véhiculer des messages symboliques, quand elle ne tient pas seulement lieu de rite incantatoire).
Jean-Marc Sauvé a qualifié le chantier de simplification à mener « d’intérêt national ». L’obligation d’évaluation préalable des projets de loi (étude d’impact destinée à améliorer ex ante la qualité de la norme), préconisée en 2006 par le Conseil d’État, a été instituée par la révision constitutionnelle de 2008 et la loi organique de 2009. Pourtant, force est de constater que cela n’a pas permis d’améliorer, loin s’en faut, la qualité du droit.
Pour le Conseil d’État, cela ne peut plus être réalisé que par un changement profond de la culture normative. L’étude s’accompagne de l’analyse des mesures prises en la matière par quatre États européen (la Hollande, le Royaume-Uni, l’Allemane et l’Italie), preuve que le problème n’est pas propre à la France mais preuve, hélas, que c’est en France qu’il est le plus prégnant car ces comparaisons internationales sont toutes défavorables à notre pays.
Jean-Marc Sauvé a tenu à faire remarquer que l’étude annuelle 2016, compte tout juste (et seulement) 100 pages et, afin de rendre plus « palpable » la réalité de la complexité du droit, il a, finement, fait remarquer que 10 pages (soit plus de 5000 mots ou 31500 signes espaces compris) sur cet ensemble, étaient consacrées à la reproduction d’un seul exemple (sans doute pas choisi au hasard) de complexité juridique : l’ article 219 du Code général des impôts …
À l’heure où l’on entend beaucoup parler (et pas toujours avec la rigueur intellectuelle qui conviendrait) de l’État de droit, l’étude annelle du Conseil d’État rappelle l’affirmation du doyen Georges Vedel selon laquelle « l’État de droit n’est (…) que la dose de juridique que la société peut supporter sans étouffer ». Il apparaît donc, si l’on suit les conclusions de la Haute Juridiction, que la France est au bord de l’overdose.
Pour parvenir au changement profond de culture normative qu’il appelle de ses vœux, le Conseil d’État fixe trois objectifs déclinés autour de 27 propositions :
– responsabiliser les décideurs publics ;
– maîtriser l’emballement de la production normative (et notamment en instituant un conseil unique d’évaluation des normes doté de trois collèges représentant les usagers, les entreprises et les collectivités territoriales. Élargissant par-là le modèle du Conseil national d’évaluation des normes) ;
– faciliter l’application concrète de la norme.
Soucieux de montrer l’exemple, le Conseil d’État prend lui-même 6 engagements et notamment celui de signaler à l’autorité compétente les difficultés, identifiées au contentieux, appelant une modification législative ou réglementaire propre à clarifier ou simplifier le droit.
Sources : Conseil d’État, conférence de presse, 27 sept. 2016 Conseil d’État, Étude annuelle 2016